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L'histoire des éditions Stock

Si Pierre-Victor Stock a donné son nom à la maison d’édition à la fin du XIXe siècle, l’histoire a commencé un siècle et demi plus tôt, le 8 mai 1708, lorsque André Cailleau fut reçu libraire. De successions en rachats de fonds, de la librairie du quartier Saint-Jacques jusqu’aux éditions Stock, rue de Fleurus, le fil ne s’est jamais cassé durant trois cents ans. Cette trace, ininterrompue, s’est poursuivie à travers des hommes et des femmes, libraires, éditeurs, traducteurs, mais surtout à travers des livres et des auteurs : la doyenne des maisons d’édition françaises est riche d’un prestigieux catalogue dans les domaines français et étranger. Les trois cents ans de Stock offrent l’occasion de renouer avec son passé, sans nostalgie.

Que savons-nous, nous qui travaillons dans cette maison, de son histoire, de sa mémoire, de la vie de ceux et celles qui l’ont bâtie puis consolidée ? Que savons-nous de l’édition au XVIIIe siècle, alors que les supports se dématérialisent, que l’impression numérique s’impose ? Cette histoire, c’est dans les archives, les livres de souvenirs, les bibliothèques, que nous l’avons cherchée. Exhumant les archives nous avons retrouvé des photos en noir et blanc, des visages aujourd’hui oubliés, des lettres manuscrites, des contrats signés de Thomas Mann ou de Jean Cocteau.

Mais, de successions en déménagements, d’incendie en inondation, ne demeurent que des traces éparses, des fragments que nous avons tenté de rassembler ici en un court historique, que nous espérons le plus exact possible. Nous laissons à des chercheurs passionnés le soin d’écrire une autre histoire des éditions Stock.

Cette histoire est celle des livres et des écrivains, de la librairie et de l’imprimerie, de l’édition à Paris, cette histoire est la nôtre autant que celle de nos lecteurs.

1708

L’histoire des éditions Stock débute à l’aube du siècle des Lumières, le 8 mai 1708, lorsque André Cailleau est reçu libraire à Paris.

Après avoir réuni des fonds, acheté des livres, trouvé un logement, André Cailleau ouvre sa boutique qui porte l’enseigne A Saint André. Sa librairie changera de lieu, à la façon des Parisiens qui déménagent souvent : du quai des Augustins (1713-1719) à la place de la Sorbonne (1721-1724), de la place du Pont-Saint-Michel (1732) à la rue Saint-Jacques (1740-1751), elle ne quitte pas la rive gauche, le « pays latin » de l’Université dont les éditions Stock ne sont guère éloignées aujourd’hui.

1753

Lorsque André Cailleau meurt, en 1751, Antoinette- Pérette Cailleau tient la boutique rue Saint-Jacques durant deux années. Dans cette corporation masculine, les femmes n’ont accès ni à l’apprentissage ni à la maîtrise.

Seules les veuves sont autorisées à poursuivre l’activité de leur défunt mari à condition de ne pas se remarier.

C'est son gendre, Nicolas-Bonaventure Duchesne qui a toute la charge de la boutique et qui lui succède en 1753 : à son catalogue, Restif de la Bretonne, Voltaire et Rousseau.

1878

A la fin du XVIIIème siècle, la maison d'édition alors appelée "Au Temple du goût" quitte la rive gauche pour le Palais-Royal. Jean-Nicolas Barba, qui a racheté le fonds Duchesne, y commence une carrière surtout tournée vers le théâtre. Mais il doit vendre la majeure partie de son fonds à son premier commis, qui le cède à son frère Nicolas Tresse, en 1845. A sa mort, en 1871, la maison revient à sa veuve, née Mlle Stock, et puis à un neveu Pierre-Victor Stock. A la maison qu'il dirigea de 1877 à 1921, Pierre-Victor Stock a laissé bien plus que son nom : deux traditions, fidèlement maintenues par les éditeurs qui lui succèderont.

Deux grandes traditions Stock

La première est illustrée par le "Cabinet cosmopolite" qui compte vingt Nobel - et a exploré, sous la direction d'André Bay, puis sous celle de Christiane Besse - la quasi totalité des littératures mondiales.

La seconde est l'engagement dans les grands enjeux de société. Pierre-Victor Stock fut l'"éditeur" de l'Affaire Dreyfus. De nombreux essais publiés bien plus tard relèveront, pour l'esprit, de cette même conviction : l'édition se doit de dialoguer avec son temps. Dialogue qui ne va pas sans risques juridiques et financiers : la maison connaît de graves difficultés.

1921

En 1921, la maison est rachetée par Maurice Delamain et Jacques Boutelleau - alias Jacques Chardonne. C'est une période incertaine, du moins en littérature française : Gaston Gallimard et Bernard Grasset tiennent en la matière le haut du pavé éditorial. En revanche, le domaine cosmopolite reste florissant. Pour une maison essentiellement tournée vers l’étranger, la Deuxième guerre mondiale est catastrophique. Et l’après guerre – si l’on excepte la remarquable activité d’André Bay – reste morne.

1961

En 1961, Delamain et Boutelleau négocie avec Hachette la vente de Stock, qui devient une filiale du groupe. André Bay, directeur littéraire depuis 1942, assurera le lien.

Ce changement de statut ne modifie pas radicalement les grandes orientations de la maison, même si les "dominantes" traduisent légitimement la sensibilité de ses différents directeurs – et l’air du temps. Christian de Bartillat, qui la dirige jusqu’en 1981, revendique – après Mai 68 – pour "la vieille dame Stock, frondeuse depuis toujours", "une lignée de petits enfants terribles" qui s’expriment sur les désirs de leur temps. De 1981 à 1991, Alain Carrère, tout en restant soucieux de littérature étrangère, accentue cet intérêt pour l’extrême présent.

1998

Le roman français, en dépit de brillantes exceptions, a longtemps été un domaine hésitant chez Stock. L’arrivée en 1998 de Jean-Marc Roberts à sa tête viendra pallier cette lacune. "La Bleue", collection à la couverture bleue nuit qu’il avait créée en 1995, migre avec lui et devient en vingt ans l'un des fleurons de la maison, ainsi qu’une référence en matière de littérature française contemporaine.

2013

Après le décès de Jean-Marc Roberts, Manuel Carcassonne prend en 2013 la direction de la maison. Liberté, Fidélité, Curiosité. Il aura fallu, pour maintenir depuis presque trois cents ans cet esprit, la rare coalition d’éditeurs et d’auteurs qui seule fait une "maison". Et cet esprit-là, quelle que soit l’époque, est toujours d’aujourd’hui.